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vendredi 11 novembre 2016

Otto Dix et la Grande Guerre

C'est vrai que je n'ai pas beaucoup été active sur le Challenge Grande Guerre de Denis (c'est le problème avec les challenges qui durent plusieurs années!) mais en cette année de centenaire de bataille d ela somme, tiens.. un billet spécial Grande Guerre pour le 11 novembre.
Et après le côté Triple-Entente l'exposition en Belgique, avec les poètes britanniques de la guerre et les cimetières  du nord de la France, les pièces de théâtres de cet été au festival, j'ai eu envie d'aller voir ce qui se passait dans le camp ennemi.
Ennemis?oui, enfin, tout autant victimes d'une politique absurde qui a entraîné toute l'Europe dans une invraisemblable escalade de violence sanguinaire.

D'une part je suis en train de lire " A l'ouest rien de nouveau", je vais tenter de le finir d'ici fin novembre,  mais j'ai eu envide de mettre en avant  la vision d'Otto Dix, peintre allemand ( 1891- 1963), engagé volontaire en 1914 parce qu'il voulait voir lui même de quoi il allait s'agir, et n'en est pas revenu indemne, en tout cas, mentalement. Il a transposé son expérience et ses traumatismes dans une série de tableaux et de gravures  (plus de 600!) d'une rare violence, qui n'enjolivent pas la chose. ce qui lui a valu par la suite d'être classifié comme peintre dégénéré par la politique nazie. Trop cru, trop critique envers le mythe national guerrier...

Otto Dix fait partie de la mouvance expressionniste, je vous bassine suffisamment avec ça au niveau cinématographique depuis pas mal de temps, , et voilà que je vais vous bassiner avec la peinture expressionniste.
Le but est le même: des oeuvres étouffantes, violentes, en équilibre instable, des couleurs saturées, des lignes brisées... on ne recherche pas le réalisme mais l'expressivité maximale. et paradoxalement, ces représentations irréalistes, parce qu'elles visent à exprimer un ressenti, et à partager une expérience plus qu'une image, sont presque plus " réalistes" qu'une peinture classique. La mort d'un soldat n'y sera pas héroïque ou idéalisée, c'est la triste situation d'anonymes considérés comme de la chair à canon qui y est dépeinte: du sang, de la boue, des os qui blanchissent au sol... " Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face".. Dix l'a regardée en face et n'a pas détourné son regard, il met son spectateur dans la même situation. Je comprends que ça puisse mettre mal à l'aise, ce n'est pas de l'art pour faire joli, c'est de l'art qui dénonce.

Lichtsignale ( 1917) Signaux lumineux. Il pourrait presque passer pour une représentation de fête, avec ses couleurs vives, ses feux d'artifices.. mais cette débandade au premier plan ce ne sont pas de joyeux fêtards au carnaval, ce sont des squelettes et des fantômes sur un champ de bataille.
Pour moi ce tableau dépasse la simple impression visuelle, il est sonore et olfactif,  on y entend le sifflement des obus et les explosions, le mouvement de panique, l'odeur de la poudre et du métal chauffé...

Tryptique de la guerre ( 1939-1932) : l'oeuvre maîtresse du peintre qui reprend de manière très intelligente une structure religieuse: le tryptique, habituellement réservé aux sujets chrétiens. Normalement, dans la version la plus habituelle,  les panneaux latéraux sont réservés à des images de saints, le panneaux central à une crucifixion ( donc déjà une image de violence), ou scène de martyre d'un saint , et la prédelle ( partie du dessous) à des scènes de la vie du saint principal auquel est dédié le tableau. La technique est d'ailleurs aussi celle utilisée au moyen-âge , la tempera ( peinture liée à l'oeuf et tombée en désuétude depuis longtemps à l'époque de Dix)

Sauf que cette fois, ce ne sont pas des saints connus et nommés qui sont mis à l'honneur, mais une foule anonyme et sans visage ( de dos, ou masqué par des masques à gaz ou des pansements), avec une lecture en cercle: Droite>centre>gauche>en dessous>retour à droite, suivant le sens indiqué par le bras du squelette dérisoirement planté sur des poutres et qui domine la scène centrale, parodie de crucifixion.
L'armée anonyme part >se fait massacrer>on évacue les blessés> on enterre les morts> on recommence avec des troupes fraîches. Des couleurs claires aux sombres, du matin au soir.
Adéquation de la forme du tableau et de la technique, mais aussi finalement du sujet: c'est bien une peinture de martyrs. Des martyrs sans nom destinés à une tombe commune. Le seul personnage doté d'un visage, celui qui évacue un blessé, est un autoportrait du peintre, dans une tentative désespérée de sauver au moins une victime.
Magistral.

Les joueurs de Skat ( 1920). La guerre est finie.. mais à quel prix. Ces trois joueurs de cartes sont d'ancien combattants, des gueules cassées. Ils n'ont plus grand chose d'humain, et sont plus proches de ce qu'on appellerait maintenant des cyborgs. Une jambe et un bras à eux trois, pas beaucoup d'yeux non plus, des mâchoires métalliques, il jouent à cartes découvertes ( le jeu était faussé depuis le début) sous un lampadaire où apparait, fantomatique, une tête de mort. A quoi sert d'avoir gagné une croix de guerre lorsqu'on est plus qu'un homme tronc? Evidemment ces gueules cassées sont bien plus " cassées" que ne l'étaient les survivants ( à ce niveau, personne n'aurait survécu, l'effet d'accumulation est presque drôle, d'un humour noir cynique ), mais résume l'ensemble des blessés de guerre.

Eux ont encore la chance de pouvoir se payer un café et jouer aux cartes..



Le marchand d'allumettes ( 1920): voilà le sort réservé à l'immense majorité des anciens combattants. Un petit travail de misère à la hauteur des maigres capacités qui leur restent, à la limite de la mendicité, les gens l'ignorent, personne ne l'écoute,  les chiens leur pissent dessus... Le promeneur ne veut regarder en face la réalité de ce qu'à été la guerre, les gens ont d'autres préoccupations.

Peinture de la rue de Prague dédiée à mes contemporains ( 1920):
Ceux-ci  doivent vivre de la charité publique. Mais Dix glisse toujours son petit trait d'humour très très noir, puisque ses éclopés avec leurs prothèses de fortune en manches à balais mendient devant la vitrine d'un marchand de prothèse dernier cri, probablement leur rêve, qu'ils ne pourront de toute façon pas se payer avec les quelques piécettes qu'une foule ( réduite à deux mains anonymes, et une chaussure à talon) leur accorde, quand elle daigne les voir.
A noter que le tableau est un collage et en 1920, Dix intègre un détail dénonçant la situation contemporaine: l'éclopé en chariot roule sur un bout de journal titrant " Juden raus!" . Dehors les juifs. Tout le monde s'ignore y compris les deux blessés, la société fait ce qu'elle fait toujours '" c'est la faute des autres" et ça finira très mal.
Il critique donc à la fois la guerre passée, la société contemporaine qui méprise les anciens combattants et se cherche d'autres moutons noirs.


Alors oui, Dix fait de la caricature, c'est violent, c'est cynique, ce n'est pas "joli", mais ça n'est jamais gratuit, pour le plaisir de choquer. Le sens prime sur la forme, c'est bien de l'expressionnisme pur. On aime ou on déteste, dans mon cas j'aime, parce qu'il a des choses à dire et les dit sans détour.
parce que ça n'est pas tout à fait fini et que les horreurs de la guerre sont encore plus abominables que tous les monstres réunis

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